Je mets ici la presque totalité des textes qui ont accompagnés la réalisation du disque

Pendant très longtemps je n'ai pas voulu jouer en solo. Pour moi, jouer de la musique est avant tout un échange et je n'arrivais pas à voir où se situait l'échange si j'étais seul à jouer. Parce que bien sur il y en a un. Le travail de l'improvisation libre m'a sans doute aidé à le trouver. Ce solo, en tous les cas mon premier solo, est venu de la demande d’Éric du théâtre Artphonème à Bourg en Bresse. Nous avions présenté une performance peinture - danse - musique (avec Véronique Soriano, Guy Dallevet et Émilie Borgo). Éric m'appelle lors de la préparation de saison suivante et me propose de jouer en solo sept mois plus tard. Je lui explique que je ne joue pas en solo. « Mais l'autre jour tu étais bien en solo non ? ». Bien sûr j'étais seul musicien mais, à mon sens, pas en solo puisque nous improvisions ensembles, certes chacun dans notre langage artistique. Mais il réussit à me convaincre. Le solo était né.

Pour ce disque, je ne voulais ni enregistrer un concert, ni aller en studio. Pas plus enregistrer chez moi. Quoi alors ?

L'élaboration de ce stratagème m'a prit quelques temps de réflexion. J'avais beaucoup aimé assister au « concert pour une personne » de Jacques Demierre lors du dernier « Fruits de Mehre » (une idée je crois d'Isabelle Duthois). D'un autre coté, j'avais trouvé très fort de jouer pour mes frères et sœurs lors de ce que j'avais appelé « La tournée des familles ». Ce n'étaient pas des concerts pour une personne puisqu'ils invitaient leurs amis, mais cela m'a permis de voir que la direction, l'adresse, que l'on donne à un concert est très importante : je jouais différemment pour chacun d'eux. La question posée, la tension, n'étaient pas les mêmes.

J'ai donc choisi de jouer pour quatre personnes très importantes, à différents titres, dans ma vie de contrebassiste, et de jouer pour eux, chez eux, une quinzaine de minutes. Pour être précis, mobiliser toute cette énergie pour 15 mn me semblait disproportionné. Je jouais environ 15 mn, je laissais un silence d'une vingtaine de secondes, et rejouais environ 15 mn. Ceci explique les plages trois et quatre du disque. Je les ai jouées telles quelles, le silence est réel.

La première personne à qui j'ai proposé cette folle construction fut Barre Phillips. Pas très original pour un contrebassiste de beaucoup aimer Barre. L'écoute qu'il m'a donné et son enthousiasme pour cette idée m'a beaucoup aidé à la mener au bout. L'ironie du sort a fait que pour diverses raisons l'enregistrement du solo avec Barre n'a pas été possible.

La deuxième personne, et le premier solo enregistré, s'est invitée toute seule : « J'aimerai que tu fasses le baptême sonore de ma fille. » Petit rêve évoqué par Laure, danseuse avec qui j'ai beaucoup et beaucoup aimé travailler. Et quelques jours plus tard j'étais dans le salon de Laure pour le « baptême sonore intra muros » de la petite Plume qui naîtra douze jours plus tard. Je n'ai pas eu le temps d'envoyer la musique pour l'accouchement.

Jouer pour Hervé et pour Jean s'est très vite imposé comme une évidence : Avec Hervé, notre amitié, que j'aime appeler « amitié artistique » même si elle est plus large que cela, dure depuis plus de vingt ans. Nous avons travaillé ensemble très longtemps dans différents contextes de jazz et de musique contemporaine et enregistré un disque en duo en 2001. Au delà de ces travaux nous avons brassé le monde et les arts des centaines de fois à toutes les heures du jour et de la nuit !!

Avec Jean c'est la relation de l'outil, du concret et de l'abstrait qui se trouve sur la sellette. Jean a un lien tout à fait étonnant avec le bois. Il vit son artisanat avec un investissement très proche de celui de l'artiste qui remet en doute , en interrogation, les façons de faire des anciens. Pas par mépris, bien au contraire. Remettre en cause c'est respecter. Il a aussi une grande curiosité pour le monde sonore en général, qui lui permet d'entrer dans des univers sonores très différents et de répondre à la recherche de chaque musicien qui passe la porte de son atelier. Je voulais partager avec lui le fait que ce vieil instrument, travaillé pour produire les sons les plus purs possible, est aussi une formidable machine sonore aux possibilités infinies. Et pour ma contrebasse, c'est en partie grâce à lui.


Les textes écrits lors des enregistrements du disque


Plume :

Cette impression que, bien sûr le ventre de la mère est le sas d'accueil d'un nouveau né dans le monde, mais aussi (et surtout??) le fait que le monde tout rond est entré dans le ventre. Le ventre est devenu le monde. Pour un temps. Limite. Ouverture.

Premiers sons. Je viens de faire les premiers sons pour préparer un "baptême sonore" d'une petite fille encore dans le ventre de sa mère. Jamais je n'avais ressenti à ce point comment les vibrations de ma contrebasse entrent en moi par le ventre. Et l'impression d'avoir un ventre aussi rond que la maman pas loin de moi...

Comment, et, est ce que trop de préparation peut tuer l'instant ? Où est l'équilibre ?

Envisager, préparer.

Je suis à cet instant ou je me dis à chaque fois que c'est fou d'arriver avec si peu de pré-décidé. Pourtant je reste persuadé que c'est à ce prix que je pourrai me connecter complètement à l'instant, choisir son expression sonore et, ici, son partage avec l'habitante du ventre de Laure. Les choses vont venir à moi. Mais c'est le moment ou je doute. Où je m'amuse à douter ? Non ce n'est pas un amusement. C'est un gouffre. Mais j'ai appris petit à petit à maitriser ce gouffre, cette peur du gouffre. A ne pas la laisser s'installer mais profiter au contraire de son énergie pour ouvrir plus de portes encore...

(Chez Laure Février 2012)


Hervé :

J'ai enregistré hier le solo avec Hervé. Hervé et son piano. Nous avons bloqué la pédale qui permet de libérer la vibration des cordes. Elles se mettent donc à vibrer selon mes propositions sonores. Cet aspect technique me semble très intéressant en ce qu'il ouvre un espace sonore un peu étrange entre écho et résonance. Un écho « interprétatif » qui ne reproduit pas tout à fait mes sons mais en développe une interprétation, puisqu'il se sert pour cela de ses sons. Des sons que lui, le piano, peut faire. Mais ne pas oublier aussi la partie « Solo pour un ». Ici le « un » est Hervé, ami de longue date puisque nous avons partagé environ 25 ans d'aventures musicales. Ensemble vraiment ou au travers de l'échange, de la discussion. Depuis une dizaine d'année nos chemins se sont séparés. Je suis parti vers la musique bruitiste, l'improvisation et Hervé a continué son chemin pianistique et de composition. Nos échanges eux sont restés très actifs, chacun essayant de comprendre les étapes, de partager les découvertes de l'autre. Forcément il y a les dissensions de nos démarches, chacun pouvant argumenter techniquement ou « sensuellement » de ses choix.

Hervé est un grand théoricien. Il a beaucoup étudié les techniques musicales bien sûr mais aussi par la lecture philosophique et n'est donc pas là ou il est par hasard. Bien sur toutes ces connaissances ne sont pas absentes de ma démarche, loin de là, mais je ne suis pas toujours à même d'argumenter mes choix de manière théorique. Je ne le désire pas toujours non plus. Il m'a fallut affirmer vraiment mon jeu face à quelqu'un qui n'est pas acquit complètement à ma cause, qui n'est pas disposé à prendre de manière irréfléchie mes propositions. Je ne parle pas d'hostilité, loin de là, mais d'une écoute précise, analytique.


Jean :

Télescopage.

Sans doute le maitre mot de cette soirée.

Me voilà dans l'atelier de Jean, étape importante de mon projet. Importante à plusieurs titres : Je suis dans un lieu de naissance de contrebasse. D'ailleurs je suis entouré de copeaux (c'est très propre rassurez vous!!), morceaux et pièces de la prochaine contrebasse. C'est un lieu ou je suis venu souvent, faire réparer ma contrebasse ou essayer de nouvelles contrebasses de Jean, leur faire donner les premiers sons. Jean n'est pas mon premier luthier mais je viens chez lui depuis très longtemps et je me souviens encore d'émotions d'étudiant du conservatoire ayant à jouer devant le luthier qui voyait aussi défiler « tous les grands » !!

Depuis une amitié est née entre nous et comme nous sommes voisins nous nous voyons pour d'autres raisons que le travail de ce bois qui nous entoure ou de ces sons qui vont bientot remplir l'espace.

L'odeur. Un atelier de lutherie est plein d'odeurs. C'est très agréable. Jean m'a laissé seul dans l'atelier que je cherche à quel endroit je vais jouer. Je choisis de me mettre tout contre son établi. J'ai à la fois envie d'être tout proche de son emplacement de travail, ressentir l'endroit exact habité des joies et des doutes du travailleur. Jean a toujours beaucoup interrogé les modes de fabrication de l'instrument et a mis au point plusieurs « systèmes » qui lui sont propres. Et évidemment tout cela ne se fait pas sans doutes ni sans joies. En cela nous sommes proches. Avec le plus grand respect du travail des prédécesseurs, aucune envie de reproduire, mais toujours ce besoin de défricher, d'aller plus loin, ailleurs peut être. Et puis aussi, plutôt que de me poser dans l'endroit ou je joue habituellement quand je viens comme client, je voulais que Jean voit « son » emplacement de travail, qu'il le voit « habité », ce dont il n'a pas l'habitude. Est ce cela qui lui fera tout à coup prendre son rabot et participer à mes sons ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Photo : Gilbert Renaud

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mes solos sont fait sans artifices extérieurs à ma contrebasse, mon archet et mes doigts...

J'ai choisi de ne rien "préparer" à l'avance, sinon d'explorer toujours plus avant les possibilités sonores de cet instrument étonnant lié à cet autre outil étonnant qu'est l'archet.

L'autre partie du travail, immense, est le lien à l'instant présent. Son aspect sonore, de l'environnement à l'intime...

 

.....................................ECOUTER D'ANCIENS ENREGISTREMENTS.....................................